Je plaide non coupable : réflexions d’un jour sur la culpabilité…

La culpabilité ne peut pas émaner de l’acte-même d’avoir procréé.  Mettre au monde un enfant est un acte naturel et innocent. Que cet enfant soit handicapé ne naît pas non plus d’une faute de la mère. C’est le fait d’ un hasard malheureux. « Je n’ai pas su le faire bien » est une proposition irrecevable pour qui possède un minimum de bon sens, de raison. On ne sait pas faire un enfant comme ci ou comme ça. On sait le faire, c’est tout, sauf cas d’infertilité. Rien de culpabilisant non plus dans le désir d’enfant : il est inscrit dans l’imaginaire de la majorité des femmes et c’est une loi de la nature.

Ce sentiment lancinant de culpabilité tient donc à  d’autres ressorts plus subtils. 

Ceux qui relèvent de notre relation mère/enfant :

  • Ne pas être en capacité de le guérir, de l’empêcher de souffrir de son handicap, dans son corps et dans son esprit. S’avouer inapte à lui apprendre à marcher, pour certains, à parler, à avoir un comportement standard, malgré tous nos efforts qui se révèlent souvent vains. 
  • Ne pas pouvoir offrir à son enfant la vie qu’on souhaiterait pour lui. Le sentiment qui naît de cette impuissance engendre de la culpabilité car on a l’impression permanente de ne pas faire assez, de ne pas faire ce qu’il faudrait, d’être incompétente, de ne pas avoir la force de lui offrir les conditions d’une vie heureuse mais aussi d’avoir eu l’outrecuidance de penser qu’on pourrait soi-même par la force de sa propre volonté faire mieux que les autres, qu’on pourrait effacer les traces du handicap faute d’effacer le handicap lui-même.
  • Pire, avoir la conviction d’avoir mal agi « par action, par parole et par omission » dans nos efforts pathétiques et parfois désespérés d’effacer le handicap, surtout quand le diagnostic a été tardif et qu’on avançait en aveugle. Avoir culpabilisé aussi notre enfant dans des moments de désespoir et d’impuissance. Des souvenirs douloureux qui alimentent la culpabilité.  
  • Agir souvent contre son cœur et accepter de voir son enfant souffrir d’une séparation, d’un choix de lieu de vie imposé, le voir résigné, révolté, et laisser faire tout en sachant pertinemment que, dans le moment présent, c’est contraire à son vrai bonheur, celui qui relèverait de son propre choix, sa propre décision. L’amputer de sa liberté de choix au nom du « c’est mieux pour toi… c’est pour ton bien… » tout en sachant, en pleine conscience, que nos paroles ou pensées sont alors mensongères. 
  • Être mise en face de sa propre faiblesse qui remet en cause l’image qu’on voudrait avoir de soi, voire l’estime de soi. 

Ceux qui découlent d’autrui, de la société :

  • Se sentir redevable des personnes qui vous aident, des proches, savoir qu’on leur complique la vie, qu’on leur impose des situations qu’ils n’ont pas choisies non plus. 
  • Être suspectée d’emblée de frauder et surveillée en permanence par le juge de Tutelle, la banque, la MDPH, donc être mise en quelque sorte soi-même sous-tutelle avec injonctions permanentes d’apporter des preuves du handicap de notre enfant, de l’utilisation de son argent, être entravée dans toutes les opérations administratives ou financières le concernant, être contrainte, contenue dirais-je, par la  sectorisation quant aux lieux de vie possibles pour notre enfant etc.
  • Avoir été souvent rendue coupable du comportement de notre enfant, de ses incapacités, coupable d’un excès d’angoisse, coupable de déni au contraire,  d’être trop sévère, pas assez sévère, trop maternante, trop exigeante, trop, trop, trop, pas assez, pas assez, pas assez…Et forcée de courber l’échine face à des sentences, des condamnations sans appel…
  • Être sans cesse en situation de s’excuser, de se justifier, de supplier, de s’humilier pour obtenir une aide, une reconnaissance, de sentir sa fierté mise à mal et ce, tout au long de notre existence de mère d’enfant handicapé. Sentir s’installer en nous ce sentiment diffus qui finit par faire partie intégrante de notre identité. 

Je plaide non coupable ! 

2 commentaires sur “Je plaide non coupable : réflexions d’un jour sur la culpabilité…

  1. ….non coupable….encore heureux! Honte à celles, personnes et administrations, qui contribuent à alimenter ce sentiment et à rendre ton quotidien encore plus difficile. Tes écrits te font aimer encore plus.

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